Cette fois, c’est un homme étrange que je rencontrai. Étant à l’école tout comme vous, je rencontre toutes sortes de gens. Mon plaisir est de découvrir leurs opinions et d’ensuite les tester, comme vous le savez maintenant.

J’étais avec Mathieu dans un restaurant-pub dont je tairai le nom quand il se présenta à la salle. Je n’avais pas vu que c’étais la soirée « mercredi-politique » et que divers candidats au poste de présidant de mon école allaient donner leurs discours. Ils étaient donc tous environs âgé de 20-22 ans, soit beaucoup plus vieux que moi.

Je n’aime pas la politique. Contrairement à moi, elle ne veut pas tester, elle veut seulement convaincre en réfutant. Ce n’est pas une façon de connaître la vérité. Mais je suis resté, puisque je venais tout juste de commander, et Mathieu semblait enthousiaste d’un côté plus comique qu’autre chose à pouvoir profiter de la bière qu’il avait commandé. Nous ne sommes pas majeurs, alors pouvoir avoir de l’alcool aussi facilement était rare.

Rapidement la soirée passa, et j’accordai plus ou moins d’importance à la conversation. Le brouhaha dans la salle m’empêchait d’entendre, mais la salle se vidait avec le temps. Mathieu avait plusieurs bières dans le corps et ne parlait plus beaucoup non plus. Et voilà cet homme.

Ma première impression fut d’admirer la confiance en soi qu’il dégageait. Les gens se sont tus à son arrivée. Il débuta son discours avec un enthousiasme. Mais ce qui allait me frapper serait le contenu de ce discours.

Je n’avais jamais vu un québécois aussi patriotique, presque d’une façon malsaine. Selon lui, la direction de l’école elle-même était pourrie et corrompue, et qu’il avait, lui , de quoi révolutionner la gérance. Je restai pensif et hésitant. Le public avait tombé sous son charme et il termina son discours avec une nuée d’applaudissement et Mathieu, quelque un peu chaud, tapa des mains, même s’il n’avait rien écouté du tout.

Alors qu’il descendait de la scène et traversait la pièce pour rejoindre une table où l’attendait une femme, je le tirai par la manche en me levant, et demandai :

-Qu’es-ce que la justice ?

-Quoi ?

-Qu’es-ce que la justice ?

-Pourquoi tu me demandes-ça ?

Je le regardai, inexpressif. Je sentais le regard de plusieurs adultes sur moi

- Un cégep, c’est 7000 personnes. Tu dis pouvoir ramener la justice dans la gérance. Tu dois donc savoir ce qu’est la justice ?

Il hésita à répondre ou à simplement partir, mais remarqua que plusieurs personnes nous regardait.Il fit un grand sourire.

-Les lois, les règlements de notre belle école. Et je compte les améliorer davantage.
Je n’étais pas étonné de cette réponse. En soi, elle était bonne. Il allait repartir quand je dis :

- N’as-tu pas une réponse plus universelle ? Les lois ne viennent pas du néant .

Je n’aimais pas ma réponse, mais je désirais amener cette homme en terrain moins confiant. De son côté, il n’aimait manifestement que je le retienne. Il était de moins en moins enjoué et de bonne humeur.

-Alors je dirai les vrais électeurs, le public. C’est à lui qu’on peut reconnaître ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.

-Ces gens sont bénéfiques pour notre école ?

-En presque totalité.

-Et la direction de l’école, elle, et qui constitue une minorité, est corrompue, et ne respecte pas les vœux du public ?

-Tu comprends très vite. Maintenant , tu m’excuses…

-Attends. Es-tu d’accord pour dire que seuls les mécaniciens ou ceux doués d’un talent mécanique peuvent êtres bénéfiques au machines ?

-Oui.Quel est le rapport ?

-Attends. D’un autre côté, on peut dire que tout le reste de la société corrompt les machines, non ?

- Mouais.

-Et il en est de même pour les animaux, les humains, enfin tout ce qui sa nature.

-Où tu veux en venir ?

- Dans tout ces cas de la nature, la corruption vient de la totalité de la population, alors que dans ton idée, la justice appartient à la totalité de la population. Comment est-ce possible ?

- C’est une façon très abstraite de voir la situation. Ce n’est pas parce que c’est souvent comme ça que ça ne peut pas être différent.

-Est-il si abstrait de me demander pourquoi ne serait-il pas parfait de penser que tout vient à la base , de la base justement, et que si la direction de l'école est mauvaise, ce n'est pas d'abord de la faute des étudiants ?

Il soupira.Je parlai pour l'empêcher de décamper.

- Es-tu d’accord pour dire que nous ne savons que ce que nous avons appris de nous-mêmes, ou des autres ?

-Euh…Oui.

-Et qu’on ne peut conseiller les gens que sur ce que nous connaissons bien ?

-Oui…

- Il y a 5 ans, savais-tu reconnaître le bon du mauvais ?

-*soupir*Oui..

-Et il y a 10 ans

-Je le savais aussi.

-Et quand à l’école , si quelqu’un te faisait du tort , tu pouvais affirmer que c’est ton attitude et non la sienne qui était justifiable ?

- Euh ouais.

-Alors quand as-tu avoué ne pas savoir ce qu’était la justice ? Quand l’as-tu apprise ? De qui ?

Il était mal à l’aise. Mais il refusa de s’avouer vaincu et tenta une réponse plus que politique.

- Je l’ai toujours su grâce à mon entourage et aux gens autours de moi qui m’ont donné une bonne éducation.

- Es-tu d’accord de dire que si l’entourage peut te conseiller des choses légères, elle peut peut-être te conseiller sur des questions sérieuses ? Et qu’à l’inverse, elle ne peut conseiller des questions sérieuses si elle ne peut pas conseiller des choses légères ?
-Logiquement, oui…

- Devrions-nous être un pays ?

- M’enfin oui, sans aucuns doute.

Je tapotai l’épaule d’un homme à ma droite, et lui posai la question :

-Pas du tout! ( l'homme à ma droite)

Je regardai l’homme politique.

-Si les gens sont incapables de s’accorder sur des choses légères, elles ne peuvent vraisemsablement pas s’accorder sur des choses sérieuses. Et le souverainisme, une chose légère comparée à la justice, ne semble point s’accorder auprès de la population.

Il resta silencieux.

-Vous n’avez donc jamais appris ce qu’est la justice, ou bien vous ne l’avez pas appris correctement. Alors comment savez-vous que la justice que vous énoncez est la bonne ? En quoi avez-vous le droit de conseiller la direction de notre école ?

- C’est que des conneries tout ça. Si tu ne crois pas à la politique, aux choses que je peux changer, t’as qu’à pas voter pour moi.

- La réflexion, que j’utilise actuellement, n’est-elle pas née de la politique ?

- En effet.

- Alors, si je crois en la réflexion, je crois en la politique, car ils sont parents. Je ne peux pas croire à l’existence du louveteau sans croire à celle du loup, n’es-ce pas ?

-Bon bon bon….

Et il partit à sa table, vraisemblablement irrité. Je m’assieds à nouveau. Voilà qui était décevant, j’avais vraiment crû connaître de cet orateur hors du commun la définition de la Justice, que je cherche encore. Mais comme de fait, et comme la presque totalité de la population, les gens politiques vivent dans la double ignorance. Ils ignorent qu’ils ignorent ce qu’ils font.

Je n’étais pas contre l’idée d’améliorer la direction de l’école. Mais encore une fois je confrontais un homme nullement préparé à quelqu’un qui réfute non pas ses idées politiques, mais ses valeurs elles-mêmes.

Alors que nous sortions du restaurant, Mathieu gloussa et dit :

- Elle était femme, la fille à la table du mec, hein ? Ptete qu’elle le quittera pour toi maintenant, ahah !

Je soupirai.

Qu’en pensez-vous ?