Une faim de loup [Ryu & Zack]

Invité

Kuragari.
Et le ciel serait rouge; et la lune en rirait.

La couleur de la nuit, elle, ne changeait pas quoi qu'il arrive: blanche. Le soleil n'était pas encore couché qu'elle s'était déjà déroulée, là, devant moi, chemin unique parsemé d'éléments indécis, qui n'auraient véritable forme qu'au moment où je pourrais l'arpenter, marchant au rythme de ma musique. Une musique violente qui me martelait en ce moment les tympans aussi efficacement que si on m'avait enfoncé un couteau en travers. Le tempo idéal pour entamer une soirée que je voulais endiablée. Et que je n'aurais pas trop de difficultés à avoir.
Car l'air de Konoha n'était plus le même, depuis quelques soirs. Un vent plus délicieux encore que sa précédente atmosphère tendue et craintive s'était mis à souffler -là encore, la musique avait superbement accompagné l'événement. Je me savais plus réceptive aux ondes sanglantes qui parcouraient ces rues hantées de prédateurs affamés, depuis mon retour; je mesurais seulement toute l'ampleur de la résonance qu'elles généraient en moi. Depuis que la lune m'avait montré la beauté des cadavres, des corps de ces sacrifiés à la cause des Kuragari, ce n'était pas la violence qui s'était emparée de moi. C'était le désir.

Un désir particulièrement pressant, à ce moment précis. Et les sons dont je me déchirais les oreilles n'y changeraient rien puisqu'ils l'amplifiaient. Ce désir encore nouveau qu'un petit imprudent avait fait apparaître en voulant m'en transmettre un tout autre. Lassée par l'accumulation des verres vides sur les comptoirs, et des avances toujours plus agaçantes, j'avais passé un long moment à lui démontrer que son obstination ne serait récompensée que par une plus grande douleur. Sa témérité face au gros problème que je représentais lui avait tout juste permis de passer minuit.
Ensuite, ça n'avait été que vagabondage inutile dans l'ombre de la ville. La faute à une démarche titubante qui ne savait plus trop où aller pour satisfaire mon féroce appétit, et sûrement aussi à des yeux qui ne savaient plus distinguer la silhouette sombre de leurs proies d'objets indignes d'intérêt. Mais mon sang ne se tairait pas tant qu'il n'aurait pas eu satisfaction, on le comprenait au son rageur qu'il produisait à mes tempes. Qu'importe que le soleil soit déjà levé, que les premiers passants se pressaient déjà devant moi avec des regards dont j'avais une furieuse envie de rire lorsqu'ils se posaient sur moi, ou qu'à présent je n'avais plus le moindre espoir de trouver un repas mangeable, à moins d'avoir une chance monstre.

Prenant conscience de ce dernier point, une brusque vague de découragement me priva du peu d'équilibre qu'il me restait, et seul un arbre du parc -reconnaissable, même dans mon état, par son vert qui contrastait avec le gris des bâtiments alentours- accepta de me rattraper. Seulement son tronc dur et rêche me fit préférer un banc, que je ne voyais pas, mais qui devait certainement exister quelque part dans le coin. Mettant de côté cette faim qui faute de nourriture entreprenait de me dévorer de l'intérieur, ma préoccupation principale devint la recherche d'un nouvel appui. Un appui qui, sans doute par pitié pour moi, ne se cacha pas bien longtemps. Le banc -je savais qu'il m'attendait par ici- était vide, mais étrangement chaud. Sûrement le lit de quelqu'un qui ne s'était pas autorisé de grasse matinée.
Maintenant que tenir debout n'était plus un problème, restait la difficulté principale: comment pallier à mon manque de violence? C'était bien la première fois qu'une question comme celle-là se posait, étant donné que mon addiction était très récente, et occasionnelle, et qu'on ne m'avait pas encore soufflé l'astuce pour venir à bout d'un tel truc, qui retournerait les montagnes si on l'autorisait à sortir de mon ventre. Ce genre de réactions extrêmes sont caractéristiques de mon petit corps, cobaye principal de toutes mes expériences, ce qui ferait comprendre aux petits réticents que ma phrase précédente n'était qu'une demi-exagération. Mais je ne m'en plains pas. Lorsque la douleur du vide se distille lentement dans mes veines, comme cette fois-là, je voudrais presque qu'elle ne disparaisse pas, pour en profiter jusqu'au bout. C'est une sensation comme une autre, après tout, et une suffisamment forte et marquante pour m'en délecter tout le temps qu'elle sera là.

Enfin je m'éloigne... Et je m'éloignais. Tête basculée en arrière, les yeux fermés, attendant je ne sais quoi. Bientôt, ça allait être le sommeil qui arriverait, façon peu glorieuse de terminer une nuit qui aurait pu être bien meilleure. Pour une fois que j'avais envie -besoin- de "jouer les Kuragari", c'était loupé. A moins que quelqu'un ne se pointe avant que tout ne s'évapore.
Décidément, je crois que je ne suis douée pour ce genre de soirées. Le souvenir brouillé de quelques sorties avec ma lionne-colocataire me fit rouvrir les yeux sur un ciel blanchi par les nuages, à moins que ce ne soit mes sens qui commençaient à s'endormir. Mon doigt me sauva de l'inconscience en baissant le son dans mon casque, prolongeant mes réflexions et mes éclats de mémoire. Sans doute que tout cela était trop neuf pour qu'une droguée de musique comme moi pour pouvoir suivre le rythme. Il faudrait... Il faudrait que je lui demande de me montrer à nouveau la partition, qu'on arrange ça au plus vite.
Ca, c'était ma dernière pensée avant qu'un bruit de pas sur le gravier du chemin ne mobilise toute ma concentration. On m'apportait enfin de quoi me rassasier, ou seulement un hors-d'œuvre sur pattes?

***~ Bloody Musician Tiger ~***

Zack était assis sur les marches du Bar, calme, les écouteurs enfoncés dans ses oreilles. Une cigarette était coincée au coin de ses lèvres. Elle fumait paresseusement, libérant un filon nocif de fumée grise disparaissant lentement dans la nuit. D'un mouvement de mâchoire, il fit tomber la cendre, et leva son grand corps de là, pénétrant dans le bâtiment derrière lui.

"Une bouteille de Vodka s'il vous plaît."

Sa voix grave s'éteignit aussi rapidement qu'elle avait retenti, et il attendit l'arrivée de sa commande. Il ne comptait pas rester. Il y avait pas mal de lycéens ici, dont la plupart parlaient encore des assassinats qui avaient eu lieu dans l'enceinte du bahut. Mais il y avait aussi des espèces de racailles loubards, des types arrogants qui se prenaient pour Jéovah, ou qui draguaient serveuses et lycéennes, laissant échapper à tout bout de champ des rires gras, imbibés d'alcool, avec des yeux éclatés, la bave aux coins des lèvres, le front, le visage même et le corps entier couvert de sueur puante et rance. Si Zack restait ici, il se mettrait en danger et ne manquerait pas de se faire remarquer en provoquant de nouvelles effusions de sang. Non pas que cela le dérangeait, mais il n'avait pas oublié sa condition de "lycéen", et les conséquences que ça pourrait entraîner pour lui.
Frémissant de dégoût, il détourna la tête et fixa le comptoir d'un air absent. Beaucoup de bruit résonnait dans le bar aujourd'hui. Il avait connu des moments ici bien plus tranquilles et agréables. Il y avait ce soir une concentration hallucinante de petites donzelles en mal d'affection, qui gloussaient sans cesse comme des poules. D'ailleurs, l'une d'elles, voyant que Zack était seul au comptoir, semblant s'emmerder ferme ( et c'était le cas ), s'approcha de lui avec un sourire enjoué.

"Coucou grand costaud, on est seul ce soir ? Tu ne veux pas venir avec moi et mes copines pour passer la soirée ? On pourra aller plus loin si tu veux !"

Zack soupira, et ferma les yeux un petit moment. Il les rouvrit ensuite, et fixa le groupe de jeunes filles qui le regardait. Elles se mirent à glousser lorsque le regard de Zack se posa sur elles. Elles avaient de toute évidence mal interprété le sourire qui étirait les lèvres du Tigre. Pour elles, c'était une manifestation de sympathie, ou de goût. Pour Zack, une réminiscence liée aux trois lycéennes qu'il avait cloué sur le mur des toilettes masculines du lycée.
Puis, durcissant les traits de son visage et son regard, il le planta brutalement dans celui de la jeune fille qui s'était rapprochée de lui. Elle perdit aussitôt son sourire.

"Ecoute. Je suis venu pour prendre une bouteille de Vodka. Ensuite, je vais passer une soirée tranquille. Et "tranquille" ne rime pas avec une soirée passée en compagnie de groupies qui veulent se faire tirer par le premier gars venu. Alors maintenant, casse toi, ou je te crucifie.

- Cruci.... espèce d'enfoiré ! Tu parles de ce qui s'est passé au lycée hein ?! Tss... pauvre con ! Une de mes meilleures amies s'est faite tuer par ce monstre masqué !

- Oh... tu m'en vois réellement navré... Je savais pas. Et c'est amusant de te voir faire le deuil de ton amie en allant dans un bar pour jouer les ados nymphomanes....

Il éclata de rire, et prit la bouteille de Vodka que le serveur tendait. Il paya, et sortit du bar, après avoir montré à la jeune fille furieuse désormais le biohazard tatoué au bas de son abdomen. Il referma la porte derrière lui, et alluma une cigarette. Il avait besoin d'un endroit à l'ambiance opposée à celle du bar. le Parc Public ferait l'affaire. D'autant qu'il était plutôt bien placé, non loin de sa maison. Optant donc pour ce lieu, il prit la direction de l'espace vert, sa bouteille à la main, sa cigarette coincée au coin de ses lèvres.
Quelques minutes après, il débouchait sur le parc, tranquille à cette heure tardive. Sans cesser de marcher, il ouvrit la bouteille et but un gorgée, se dirigeant vers un banc... occupé. Qu'importe. Ne se souciant pas vraiment de l'étrange jeune fille aux cheveux verts occupant le banc, il s'y assit, et but une gorgée de Vodka.

"Bonsoir..."

Etudiant

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