Les ombres.
Elles s'allongeaient lentement. Envahissaient le hall de leur lente progression, serpents invisibles qui vous étranglent au milieu de la nuit. Le carrelage s'assombrissait. Et les murs se ternissaient. Et des silhouettes menaçantes aux visages de ténèbres s'appropriaient les recoins de la pièce, leur domaine. La nuit tombait, et enveloppait presque amoureusement le corps du seul être vivant aux alentours.
Dans la semi obscurité, Vitanny attendait. Immobile, pourquoi bouger... Il n'y avait qu'elle ici, pas un bruit, le silence, la nuit.

Le silence qui susurrait aux oreilles de la jeune fille blonde. Elle l'invitait à sortir, à contempler la mort du soleil. A honorer son agonie d'un salut gracieux. Un de ces silences lourds de sous entendus que criaient les lumières blafardes de la nuit. Au loin.
Mais Vitanny ce soir n'était pas encore prête à sortir. Elle attendait, guettait l'instant où elle détecterait la présence de Fûu.

Fûu c'était cette fille incroyable qui avait grillé une paire de neurones à la blonde sauvage. Son regard surtout, car Vitanny n'avait que faire du reste au final. Fûu était belle, à sa façon. Comme elle. Mais surtout, elle avait ce regard où brûlait une lueur capable d'incendier la ville. Vitanny n'y avait pas échappé. Cette fièvre, ce témoignage d'un passé qu'elle ne connaissait pas encore, avait convaincu Vitanny que l'espagnole était un être exeptionnel.
C'est pourquoi, les mains dans les poches, elle attendait. Fûu devait la rejoindre en début de soirée. Elles avaient dit fin d'après midi, mais comme le temps n'avait que peu d'emprise sur la blonde, elle était arrivée à l'heure où le soleil avait commencé à se dire « couchant »

Pas un souffle ne se pressait dans la pièce. Il n'y avait que la respiration lente de Vitanny. Elle était immobile, vraiment. Vraiment ? Quiconque oserait s'approcher d'elle verrait que c'était faux.
Mais si, regardez...Ce frémissement de sa chevelure blonde lâchée sur ses épaules fines, ce frisson électrisant la surface de sa peau, cette pulsation de ses veines et de sa poitrine. Vitanny n'est jamais vraiment immobile.
Un jour elle avait cessé de se reposer.
La vie est un jeux dont elle aimait briser les règles, mais il y a toujours des individus qui, parce qu'ils craignent pour leur propre vie, pour leur existence, choisissent d'attaquer lorsqu'il est encore temps. Des individus vicieux, qui avaient réveillé chez Vitanny l'instinct bestial que chaque homme porte en lui.

Dans une vie antérieure, Vitanny était surement un homme. Musclé, orgueilleux, sûr de lui, et certainement macho. Si la jeune fille n'avait pas, par chance, un physique masculin, elle n'était pas non plus très féminine. Loin de la bimbo en couverture de magasine en tout cas.

La porte ne grinça pas. Et Vitanny sut que son amie était arrivée avant même qu'elle ne pénètre dans la pièce. Parce que Fûu était une créature de musique, qui fredonnait sur le pas de la porte. L'oreille de Vitanny avait été chatouillé par cette musique empreinte de l'âme de la nouvelle venue.

Dans sa prochaine vie, Vitanny serait une lionne. Féline, bestiale, patiente et fébrile à la fois.
Elle en avait déjà le regard et la crinière, sans qu'elle même si elle avait adopté ce style et cette attitude volontairement.
Ses yeux bleus luirent du rougeoiement du soleil couchant, et un mince sourire étira ses lèvres, tandis que Fûu s'excusait pour son retard. Retard ? Quel retard ? La nuit n'était pas encore vraiment tombée. Le temps n'était pas vraiment passé.
La jeune fille blonde répondit sur un ton rauque d'avoir été muet tout l'après midi. Vitanny n'était pas du genre à parler. Elle communiquait beaucoup par ses gestes et son regard. Bestiale.

-Pas la peine de t'excuser, Fûu. J'espère que tu as pus te faire au décor, qui ne doit pas ressembler à celui auquel tu es habituée.

Vitanny s'éloigna du mur auquel elle était adossée, quittant l'étreinte des ombres froides embrassant ses pieds chaussés de bottines en cuir noir, dont le talon plat et du cogna le sol en raisonnant.
Fûu avait les yeux de ceux émergeant d'un rêve éveillé. Regard souligné d'une frange improbable, profond et fascinant. L'espagnole était la seule pouvant dire si son rêve éveillé avait été beau, ou non. Peut être qu'un jour Vitanny apprendrait, au contact de sa nouvelle amie, à lire dans les iris dorés de Fûu.

Elle retira les mains des poches de son jean, et fouilla dans la poche de sa veste en toile noire pour y trouver son paquet de cigarettes. Le paquet cubique prit place dans sa main, naturellement, alors que le mouvement du vêtement dénuda le bas de son flanc, où se dessinait sombre et fier, le tatouage des membre de Kurugari.

-Bienvenue, susurra Vitanny d'un ton amusé.

-Ouais, j'ai entendu dire ça aussi...On t'as mise dans ma chambre

Vitanny n'avait trouvé que cette réponse à donner. Un réponse posée, simple, qui n'engageait rien ni personne. Depuis quand était elle devenue aussi passive dans ses maigres tentatives de discussion ? La blonde secoua la tête doucement, navrée par l'absence d'esprit en elle. L'héritage de sa vie antérieure lui avait laissé de séquelles. Les mâles ont un cerveau tellement plus réduit que la moyenne.
Pas les hommes, ni mêmes les humains de sexe masculin, mais les mâles, avec l'accent circonflexe, les Mâles les vrais. Qualifiés ainsi ils gagnent un aspect primitif et puissant, ils prennent les traits des rois de la savane avec leur volonté de domination. De ces mâles Vitanny avait l'esprit.
Force toi Vitanny, lance toi. Met des mots sur les choses de ta tête, car tu en as une, tout le monde en a une. Veux tu que Fûu comprenne les images qui dansent actuellement dans cette boite fermée precieusement, et qui n'ont pour seules ouvertures que deux fenêtres, deux hublots glacés et bleus...

-Elle me sert plus de garde robe qu'autre chose pour l'instant, je n'ai pas eu la chance de vraiment faire connaissance avec les deux autres qui la partagerons avec nous. Un garçon et une fille je crois. Quelle drôle d'idée la mixité, il ne manquerait plus qu'ils mélangent les clans... Ça serait amusant.

Le terme amusant avait un goût étrange dans la bouche de la blonde. Un goût d'aventure, mais aussi un goût de déjà vu. Un goût de cocaïne et de shit, un goût de métal froid et de sueur. Un goût de violence et pourtant d'euphorie encore jamais égalée à ce jour.
Sa chambre, Vitanny s'en servait pour l'instant uniquement de garde robe...
Dormir ? Bonne blague. On ne dort pas lorsqu'on débarque dans une toute nouvelle ville, on ne dort pas lorsqu'on s'insère dans une bande, qu'on s'y fait une place.
Les mots de Fûu étaient tellement juste. Un décor réservé à ceux qui ne se perdent pas la nuit.

La musique de l'espagnole, au regard ambré d'or et de feu, grésillait faiblement dans ses écouteurs, litanie mélodieuse et serpentant comme une vipère jusqu'aux tympans frémissant. Chacun sa drogue. Fûu avait trouvé son héroine, la musique. Vitanny connaissait la sienne depuis quelques temps également. Mais elle était tellement moins facile à gagner. Il fallait jouer pour en jouir, jouer et battre l'autre pour lui aspirer la drogue comme un vampire...
Vitanny se mordit la langue et sortit de son exploration interieure. Elle avait besoin de fumer. C'était interdit, non ?

La blonde féline sortit une cigarette de son paquet et l'alluma avec un zippo volé. La flamme crépita et se refléta dans ses yeux clairs tandis qu'elle l'approchait de la cigarette au bout de ses lèvres. Une odeur de tabac infiltra ses narines. Elle n'avait même pas demandé à Fûu si ça la gênait. Pourquoi ça la gênerait ?

-Tu veux qu'on aille tester la résistance de nos lits ? Marmonna Vitanny entre ses lèvres serrées autour du cilindre blanc et brun qui fumait doucement en rougeoyant.

Elle sourit à Fûu. Parce que sourire était polit, et parce qu'elle s'exprimait bien avec des sourires. Et elle voulait aussi voir Fûu sourire. Souris, Fûu, souris je le veux. Ton sourire est trop comme le mien, dans mes mauvais jours, fracassés par l'humeur sauvage de la vie. Étire tes lèvres, embrasse l'air de ton simili de joie, ou bien rit. Rit et amuse toi du jeu pathétique et passionnant auquel nous jouons, tous ensemble. Sourit et rit, Kurugari. Nous allons tester la résistance des lits.