Piscine, Roseraie, bidule-qui-sert-a-rien, parc, lac...
Vitanny désignait d'un simplement mot et d'un mouvement de menton les différents lieux séparant le lycée de l'internat.
Stade, pavillon, Dojo...
Le fond de l'air était gris maintenant. Pas encore tout à fait noir, mais déjà bien avancé dans l'obscurité. Les arbres et arbustes cachaient les derniers rayons du soleil, et de pâles étoiles naissaient une à une sur le voile céleste.
Porte, escalier, palier, couloir....
Et voilà. La chambre.

C'était assez grand, dans le genre. Quatre lits, quatre placards, quatre tables de nuits, quatre bureaux. Un sol en parquet beige, propre, nickel même. Elles devaient être les premières à y poser les pieds. Il y avait bien les affaires de la jeune fille blonde. Mais encore emballées dans le sac de toile, et enfermées dans un placard.
Vitanny se dit que c'était trop calme. Pas le genre d'endroit où elle aimerait passer ses nuits...enfin...

Une lumière blanche blafarde éclaboussait les murs immaculés. Si il y avait bien une couleur que Vitanny détestait, c'était le blanc. Ce n'était même pas une couleur, en fait. Absence de couleur. Neutralité totale, passivité, absence d'émotion...la mort presque. On devrait se marier en couleur et enterrer les défunts en blanc...
Les fantômes eux même n'étaient ils pas blancs, de toutes manières ?

Des spectres de lumière dansèrent devant les yeux de la jeune fille blonde, qui secoua la tête doucement, perdue dans ses propres pensées. Elle se dirigea vers un des lits, un des deux près de la fenêtre, et soupira en s'y asseyant. Draps blancs, d'ailleurs. Comme des draps d'hôpital.
Vitanny avait souvent visité des hôpitaux. En tant que simple visiteuse, ou en tant que patiente... Bizarrement ses allées et venues dans ce genre de bâtiments blanc, avec des gens blancs, et des malades au visage blême, étaient toujours liées à quelque chose de...blanc. Cocaïne.

-J'ai arrêté la coke, tu sais.

Et voilà, Vitanny se mettait à parler d'elle, tout seule. Pour ne rien dire en plus. D'une part, c'était tellement récent qu'on ne pouvait pas vraiment dire qu'elle avait arrêté. D'autre part...Qu'est-ce qui lui prenait de balancer ça au milieu du silence ? Besoin de te confesser Vitanny ? Va à l'église.
Mais le problème avec l'Eglise, c'est que ça ne marche que pour ceux qui y croient. Et encore... Vitanny n'étant pas croyante du tout, ça ne servait strictement à rien.
Elle grimpa sur le lit, se mettant debout afin d'atteindre le dessus de l'armoire qui était non loin de là. A part de la poussière, il n'y avait rien. Blanche, la poussière. Vitanny se dit que c'était une bonne cachette pour ses affaires. Les choses moins légales que les vêtements et les cahiers de cours...

Elle resta debout et regarda Fûu en souriant, espérant la voir se joindre à elle. Le lit voisin était libre.

Vitanny souriait, étrangement légère ce soir. Fûu avait sans aucun doute ce pouvoir d'alléger l'air, de faire s'évaporer la brume humide de cette ville.
Il avait suffit d'une phrase, vide, nulle, sans intérêt, issue du tréfonds des pensées de Vitanny, pour que la musicienne le prouve : il n'y a aucun problème dans la vie. Fûu l'illustrait parfaitement dans sa quasi innocence, installée sur son lit, pendant que sa camarade blonde soufflait la poussière sur le haut de l'armoire. Elles prenaient possession des lieux, sans vraiment se soucier du reste.
Le « Ah si tu veux » se ficha dans l'esprit de Vitanny, qui gloussa presque, oh! chose improbable quand il n'y avait personne à frapper dans les environs.

Les écouteurs dans les oreilles sa compagne de chambre tressauta sur le matelas, le sien, celui qu'elle s'était approprié. L'enfant unique des Inugame perçut le mouvement occasionné du coin de l'oeil, et un sourire énigmatique aux lèvres, écouta la douce mélodie engendrée par Fûu. Voix chantante chantant un chant magique. Sortir après avoir testé les matelas, quelle idée géniale. Voilà une proposition des plus intéressantes, comment clore avec brio cette journée sans pulsions que seule la venue de l'espagnole avait ravivé.
Des connections illogiques se faisaient entre les mots qui voyageaient dans l'esprit de Vitanny. Son enthousiasme soudain avait neutralisé la logique, et elle se laissa violemment tomber sur son propre lit, rebondissante tel le kangourou.

-Oh oui ! Je sais déjà où on pourrait aller, il y a un quartier commerçant mal fréquenté la nuit, ce serait génial !

Les yeux de glace de Vitanny brillaient de cette lueur que les malheureux qui croisaient son chemin, une fois le soleil couché, craignaient et observaient d'une curiosité morbide. Un éclat, comme un morceau de verre tranchant, fiché dans ses iris bleus.

-Mais pour l'heure, amusons nous avec ce qui nous appartient.

Un clin d'œil effaça les pulsions dangereuses du regard de la jeune fille blonde. De ses mains habiles elle retira ses bottes noires, les posant sans ménagement quelques mètres plus loin. Il s'agissait de faire de la place.
Un bon matelas devait être ferme et tendre à la fois, solide et d'une fragilité innocente pour bercer le sommeil. En tous cas, tel était le matelas idéal du point de vu de Vitanny. Féline, quand elle dormait sur sa couche, elle l'aimait moelleuse, confortable. Sauf qu'un tel lit n'existait pas. Il fallait le façonner, l'apprivoiser par de longues nuits passées à roupiller joyeusement.

-Première étape ma belle, on fait de la place. Ce serait dommage d'abimer nos affaires en tombant dessus. Deuxième étape...

Vitanny fixa son regard amusé sur son lit, et vira les draps avec énergie.

-...on s'y met à deux pour voir à quel point ils rebondissent. Si on saute comme des lapins, oou des lapines, c'est pas bon. Si on s'aplatit comme des crêpes, c'est pas bon non plus. Tu saisit ? C'est le seule domaine dans lequel j'aprécie la demie mesure. On saute ?

Sauter encore et encore, agiter les neurones flottant dans un esprit embrumé. Sautez, Kurugari, rebondissez tant que vous le pouvez, accordez vous un peu de candeur dans cette ville de brutes. Ensuite il s'agira de quitter la demie mesure pour trancher.

Les crêpes au lapin arrachèrent un franc sourire à la jeune fille blonde, qui posa un regard amusé sur sa camarade. Les opérations étant lancées, Fûu se laissa tomber sur le lit, en travers de celui-ci pour en éprouver toute la longueur. Le grincement de mauvais augure des ressorts fit rire doucement Vitanny, qui prenant son élan se laissa choir aux côtés de la mélodieuse espagnole. L'air était paisible, résonnant silencieusement des excès de candeur des deux demoiselles.
Elle rebondit vaguement, plus proche du lapin écrasé finalement. Un lapin-crêpe ayant perdu tout envie de bondir après être passé sous les roues d'un bus. Dommage, le lit n'avait pas l'air très confortable. Rien d'étonnant à cela, si Vitanny et son amie avaient prit la peine de regarder simplement l'épaisseur du fameux matelas, elles se seraient rendues compte qu'il n'y avait sans doute pas assez de matière pour en faire un nid douillet.

-Il est pas top, hein...? Reste la deuxième étape du test.

La deuxième étape était un peu floue encore dans l'esprit de l'étudiante au regard azuré. Elle observa sa camarade dans une sorte de médiation profonde, cherchant dans les yeux profonds de celle-ci une éventuelle idée de génie. Après avoir vérifié l'éventuel confort de leurs couches, il fallait maintenait s'assurer qu'elles résisteraient aux plus violentes agressions. Imperméabilité, solidité...Si dans un débordement de colère ou de frustration, Vitanny, ou même Fûu, se jetaient sur leurs matelas pour passer leurs nerfs, ce serait bien embêtant qu'ils cèdent.

-On va le plier en deux.

Rien que ça. Plier un matelas. C'est que ça pèse son poids, ces choses là. Et loin d'être rigides et fermes, ils ont plutôt tendance à retomber mollement sur celui qui les tiens, tel un énorme chamallow blanc qui écraserait tout le mobilier des environs en s'effondrant lamentablement. De plus, si il s'avérait souple...
Vitanny se leva et tendit une main à l'espagnole pour l'aider à se redresser. A deux, ce serait sans doute plus facile, et plus drôle. Elle allaient simplement s'emparer du matelas, et posant une extrémité au sol, tenteraient d'y apposer l'autre.

C'était presque sans intérêt. Il semblait évident qu'un matelas était assez souple pour être plié de la sorte. Impossible d'imaginer qu'une telle masse de coton synthétique et de tissus épais pourrait se casser comme un gâteau sec ou se déchirer lamentablement. Mais la question n'était pas là. Si il fallait ne faire que des choses utiles et sensées dans la vie, l'existence serait bien morne, après tout. Un peu de futilité, entre filles, dans l'enceinte close de leur chambre, ne pourrait faire de mal à personne. Et leur enthousiasme était aussi agréable qu'une bouteille de vodka dans le sang. Vitanny n'était pas bonne en biologie, mais elle savait rien qu'en regardant la belle jeune fille à ses côtés que leurs neurones étaient autant en manque d'endorphines, aussi bien pour l'une que pour l'autre.

Vitanny attrapa un coin du matelas et le souleva, glissant son genoux en dessous pour le retenir. Ultime test lancé : la souplesse et la résistance. Un matelas digne des deux princesses de la nuit devait être capable d'éviter les attaques, et de rendre coup pour coup les assauts. Vitanny sourit. Elle avait presque envie de voir le tissus se déchirer pour vomir un flot de coton.